Rhône Sud février 2011

C’est sous un beau soleil de février que nous nous mettons en route vers le sud. Direction : vallée du Rhône, notre vignoble de prédilection…Nous avons toujours préféré les vins de cœur aux vins de tête… Au programme : deux journées au pays du grenache et une au pays de la syrah.Ce que nous avions déjà dégusté du millésime 2009 était plus que prometteur et les échos du millésime 2010 plus que favorables.

Petit état des lieux.

Domaine de Trévallon : Sans faire de bruit, mais avec une régularité sans faille, le domaine s’est hissé dans la cour des grands pour devenir une référence incontournable dans les priorités des amateurs de vin. Jamais nous n’avons été déçus par ce vin au vieillissement, et pourtant le premier millésime acheté était 1984…un sacré bail… En compagnie d’Eloy Dürrbach et de son fils Antoine, nous descendons en cave pour déguster les vins. En blanc, roussane, marsanne, chardonnay et le petit dernier, le grenache, sont élevés séparément avant assemblage. En 2010, les blancs sont parfaitement équilibrés avec une constante de fraîcheur et de délicatesse. Entre la longueur superbe des vieilles marsannes et le croquant étonnant des jeunes grenaches, le contraste est saisissant et je pense que le résultat final devrait aboutir sur un profil aromatique peu courant à Trévallon. Le rouge 2009 est assemblé et se caractérise par sa richesse et sa concentration. Un peu sévère pour l’instant, les quelques mois d’élevage avant la mise en bouteille lui amèneront une patine que beaucoup de vins sudistes pourront lui envier. Le côté ostentatoire de cette année chaude et ensoleillée ne se manifeste pas ici et nous laisse penser que le vieillissement sera plus qu’heureux, un peu à l’instar du 2006 qui en a pris le chemin. En 2010, la syrah fraîche et élégantissime, plus nordiste que sudiste, dévoile déjà la race des plus grands. D’une rare pureté, on s’y noierait sans l’ombre d’une hésitation….Quant au cabernet, il livre une structure compacte à la fois lisse et serrée qui donnera à ce 2010 une profondeur magnifiqueUn petit essai d’assemblage et l’étonnement devant la complémentarité de ces deux cépages dans la race, la suavité et la précision. Voilà sans conteste le plus grand vin jamais produit ici.

2008 dégusté en bouteille confirme le potentiel du terroir du domaine avec un vin étonnamment ouvert, complet, droit, d’une belle tenue. 2005 a besoin de temps : il s’affine peu à peu, lentement mais sûrement. Attendre encore. 2001 a toujours été un de mes millésimes préférés, beaucoup de classe… et de classicisme. Il arrive à son apogée et le déguster aujourd’hui est tout sauf un crime de lèse-majesté…

www.domainedetrevallon.com

Domaine de la Réméjeanne : Situé dans le nord du Gard, le domaine est constitué de plusieurs parcelles en coteaux pour la plupart, entourées de bois et de collines. Un environnement idéal pour la culture de la vigne. Rémy Klein a maintenant été rejoint par son fils Olivier, touché par le virus lui aussi …Ensemble, ils ont créé un petit négoce qui propose cette année son premier vin joliment nommé « Un Air de Réméjeanne ». Nous retrouvons avec plaisir le style du domaine dans ces deux beaux millésimes. En 2010 les vins sont élancés et d’un remarquable équilibre entre la matière délicate et l’acidité. Des vins tranchants et précis d’une grande netteté aromatique. Mention spéciale à la cuvée des Arbousiers en rouge. Les 2009 présentent un profil plus solaire et les vins se différencient de 2010 par leur côté immédiat et gourmand. Les tannins sont présents mais jamais anguleux et l’environnement des bois et bosquets leur confère cette fraîcheur que l’on trouve rarement plus au sud dans les années de chaleur. Définitivement de grands Côtes du Rhône.

www.laremejeanne.com

Vignobles Michel Gassier : ce vaste domaine situé au Sud de Nîmes, produit principalement des vins d’appellation Costières (Château de Nages) et des vins de pays (domaine de Molines). Depuis plusieurs années, Michel Gassier est en recherche constante et s’applique à produire des vins à la fois typés et d’une grande pureté. Cela passe par des expérimentations diverses qui lui permettent de satisfaire sa curiosité et son goût du travail bien fait. Nous constatons chaque année les progrès réalisés et les vins gagnent en délicatesse et en précision aromatique. Le succès foudroyant du domaine depuis quelques années tient à cet équilibre de recherche et de sagesse dans les prix pratiqués. La gamme est large et permet à chacun d’y trouver son bonheur. Mais plutôt que telle ou telle cuvée, c’est l’homogénéité qui est impressionnante, et la dégustation que nous ont préparée Michel et Olivier (le responsable export) nous le démontre une fois encore. Les rosés : le millésime 2010 impose son profil élégant et frais … Terres de Molines : composé principalement de merlot, ce rosé met en avant ses arômes de fruits rouges et une puissance retenue qui lui permet d’être le vin de toutes les occasions. Château de Nages réserve : grenache et syrah. Des saveurs un peu plus soutenues, un fruit omniprésent, complet et savoureux. Nostre Païs : l’archétype de ce que l’on attend d’un grand rosé. Un assemblage étonnant de vieux mourvèdres qui donne au vin une silhouette élancée, un charme épicé et une grande fraîcheur, et de cinsaults à petits rendements apportant un cachet aromatique très délicat de fraises saupoudrées au sucre impalpable. Un vin aérien. On en redemande… Les blancs : c’est ici que la patte du vinificateur est la plus évidente… Terres de Molines Sauvignon : un classique de la maison, avec un apport de viognier qui apporte ses notes de pêche aux senteurs florales du sauvignon. Un blanc riche et gras. Château de Nages réserve : le terroir apporte ici une touche de minéralité bienvenue qui ajoute à la tension d’un vin droit et rectiligne soutenu par les arômes floraux de la roussane. J’aime beaucoup le style de ce vin. Château de Nages Vieilles Vignes : un vin typique du Sud caractérisé par une puissance qui occulte quelque peu son équilibre. Pour les amateurs de vins riches. Château de Nages, cuvée JT : de la roussanne fermentée et élevée en barriques récentes pour une partie. Des arômes prenants de fruits secs et de fleurs blanches (aubépine, acacia) et un vin qu’il convient d’attendre quelques mois après la mise en bouteille pour que les arômes boisés se fondent dans le gras du vin. Le plus « bourguignon » de la gamme. Nostre Païs : presque uniquement grenache blanc, ce vin révèle une délicatesse peu commune pour un blanc du sud. Nous aimons son équilibre, sa texture moelleuse, ses senteurs complexes et minérales. Les insolites, Viognier Gourmand : je crois qu’il est inutile de vous présenter ce vin encore, vous le connaissez tous. Une réussite totale dans le style « vin tendre » que ce viognier dont la fermentation a été stoppée aux alentours de 10% d’alcool (par filtration et refroidissement), ce qui peut laisser selon les millésimes 50 à 60 de gramme de sucre. Une bombe de fruits jaunes et d’agrumes qui explose dans une matière délicate et pleine de fraîcheur. Le plaisir est dans le côté immédiat et croquant. Les rouges : en constante évolution… Terres de Molines Merlot : un vin facile et souple, l’entrée de gamme accessible à tous. Château de Nages réserve : l’assemblage grenache-syrah évolue selon les millésimes, un peu plus de syrah dans les millésimes frais, un peu plus de grenache dans les millésimes solaires. On lui souhaiterait un peu moins de puissance parfois car c’est au détriment de la « buvabilité » On voit l’évolution d’année en année, et le 2010 devrait saluer la naissance d’une nouvelle ère pour ce vin, plus élégant, plus fin que d’habitude. Château de Nages Vieilles Vignes : A l’image de son alter ego en blanc, il se décline plus sur la puissance et le volume de bouche que les autres vins de la gamme. On se rapprocherait ici de la typicité des rouges du Vaucluse côté Cairanne et Rasteau par le fruit légèrement confituré et les épices (poivre, cannelle), voire de certains Châteauneufs dits « modernes « Château de Nages cuvée JT : une jolie syrah et un élevage en barriques qui donne à ce vin des notes toastées qui ont besoin de temps pour se fondre. C’est quand on déguste des millésimes plus anciens comme 2000 que l’on se rend compte de l’évolution du domaine. Beaucoup plus de recherche d’équilibre et la certitude d’une meilleure assimilation de l’élevage sur les millésimes récents. Nostre Païs : Magistral, dans le sens premier du terme. Un vin d’école avec une constitution superbe et une race sans équivalent dans l’appellation. Chaque composante de l’assemblage apporte sa pierre à l’édifice : suavité du grenache, structure élégante et épicée du mourvèdre, nervosité des vieux carignans et par-dessus tout le raffinement du cinsault absolument saisissant. Et cela quelque soit le millésime…Tout est en place pour en faire le porte drapeau du domaine. Une cuvée à découvrir absolument, et ce dans les trois couleurs.

www.michelgassier.com

Domaine Giraud, Châteauneuf-du-Pape : C’est l’an dernier à Vinisud que nous avions découvert ce domaine. Si les millésimes 2007 et 2006 dégustés ne nous avaient pas totalement convaincus, 2008 par contre nous avait fait succomber au charme d’un Châteauneuf tout en dentelle et pourvu d’une matière soyeuse à souhait. Nous étions donc curieux de déguster les derniers millésimes du domaine. Marie Giraud, petit bout de femme énergique et souriante, nous explique qu’avec son frère François, ils ont repris en 1998 le domaine familial créé par leurs parents en 1974. Et de continuer ses explications en nous faisant déguster : Châteauneuf blanc les Gallimardes 2010 : un joli blanc assez nerveux malgré sa richesse de constitution. Longue persistance en bouche, et une touche d’alcool en retro. Châteauneuf tradition 2009 : dès le premier nez, un grand sourire. Cela semble aller dans la continuité de ce 2008 qui nous avait tant plu. Pas de surmaturité, le style du millésime bien sûr mais avec beaucoup plus de rigueur que beaucoup de 2009 qui partent parfois un peu dans tous les sens. Châteauneuf tradition 2010 : un 2008 puissance 3….la finesse des tannins est impressionnante, la chair est pleine et suave, le vin ne fait qu’un, du nez à la fin de bouche qui s’allonge dans une fraîcheur remarquable. Il y a très longtemps que je n’avais plus eu tant de plaisir avec un châteauneuf. Châteauneuf les Gallimardes 2009 : situé au sud de l’appellation, cette grande parcelle d’un seul tenant est typique de l’appellation avec son terroir de gros galets roulés. Les vins y sont riches et concentrés, mais Marie et François ont réussi l’exploit de canaliser la puissance de ce vin dans une gaine veloutée. Châteauneuf Les Gallimardes 2010 : En gros, les mêmes commentaires sont de rigueur. Une pincée d’acidité en plus, une pincée d’alcool en moins, et le (bon) tour est joué .Châteauneuf les grenaches de Pierre 2010 : cette cuvée de grenaches centenaires plantés sur les sables du terroir de Pignan, à côté de Rayas, n’a pas été produite en 2009. Le style trop solaire du millésime ne convenait pas selon Marie iraud à la philosophie de la cuvée. Il faut dire que la finesse de la matière, le soyeux de la texture, la délicatesse du toucher de bouche et la longueur interminable nous laissent pantois… Décidemment, 2010 est un bien beau millésime….

www.domainegiraud.fr

Domaine de Durban à Beaumes de Venise : Sous le soleil de cette belle matinée, nous arrivons à Beaumes-de-Venise, au domaine de Durban, niché dans un écrin de verdure au cœur des dentelles de Montmirail. Le domaine est magnifiquement entretenu et les parcelles de vignes qui s’entrecroisent sur les devers ajoutent encore à la magnificence du paysage. Longtemps renommé pour son muscat, le domaine s’affirme maintenant en rouge sur le Beaumes vieilles vignes et le Gigondas après des débuts un peu hésitants. Si les 2009 sont parfaitement typés du millésime avec beaucoup de richesse, de puissance et de facilité, les 2010 eux sont bluffant de finesse et de longueur. Tous les autres vins ne sont pas encore à la hauteur, mais si les frères Leydier continuent sur cette lancée, nul doute que les prochains millésimes mériteront peut-être une attention plus soutenue.

www.domainedurban.com

Domaine Pélaquié à Saint-Victor La Coste : Retour dans le Gard pour y retrouver Luc Pélaquié, une vieille connaissance avec qui nous avions travaillé de 1986 à 2001 pour ses magnifiques blancs richement constitués qui ont toujours fait la réputation du domaine. Nous avons eu l’immense plaisir de les redécouvrir l’an dernier au hasard de nos dégustations et de constater que les rouges, parents pauvres du domaine à l’époque, étaient maintenant du même acabit. Luc nous explique que les terres initiales qu’il possédait étaient des terres à blancs, sols calcaires, sablonneux, sédimentaires. Le développement du vignoble et l’extension vers les terroirs de Tavel et Lirac a permis à Luc d’affirmer la vinification des rosés et des rouges et de les amener au niveau des blancs. La dégustation des 2010 cépage par cépage nous a permis de (re)découvrir les spécificités de chacun d’entre eux : Clairette : puissant, ce cépage donne à l’assemblage sa constitution robuste. Grenache blanc : très rond, une belle acidité, loin des grenaches lourds et sans goût, il nous enchante par sa matière concentrée et serrée. Roussanne : parfums floraux, très fin, tout en dentelle, Bourboulenc : frais, vif, nerveux et légèrement herbacé, ce qui lui donne une amertume rafraichissante. Viognier : parfums très nets de fruits jaunes, très pur. Grenache rouge : fruits rouges frais, concentré, dans une gangue droite et serrée, bel avenir. Syrah : très florale sur une structure astringente comme on en aimerait plus souvent sur ce cépage dans le sud du Rhône. Mourvèdre : absolument superbe, épicé, plein, dense et très long. Remarquable. Les 2009 sont puissants et solaires, faciles d’accès, bien typés du millésime. Le mourvèdre est une fois encore impressionnant.

www.domaine-pelaquie.com

Domaine Nicolas Crozes à Saint-Martin d’Ardèche : Nous avons toujours considéré les terroirs du nord du Gard, du sud Ardèche et de la Drôme provençale comme étant potentiellement les terroirs les mieux adaptés à l’élaboration de vins frais et délicats. En effet la configuration et l’exposition de ces terres et les vins que nous y avons dégustés nous ont persuadé que c’est là bas que l’on pouvait élaborer le style de vins dont nous sommes friands. Délicatesse et équilibre peuvent en effet s’y exprimer beaucoup plus facilement que dans les vastes étendues écrasées de soleil situées une trentaine de kilomètres plus au sud.  C’est pourquoi nous suivons le parcours de Nicolas depuis quelques années. Les vins qu’il produit ont en effet le potentiel qui pourrait exprimer au mieux toutes ces qualités. Il y a encore du travail et de la réflexion pour arriver au but, mais les 2009 et 2010 dégustés avec Nicolas commencent à s’approcher du type de vin que nous recherchons. La cuvée que nous avons choisie pour commencer notre collaboration est le vin d’entrée de gamme du domaine, un vin destiné à l’été, souple et facile, gouleyant à souhait. Pour la suite, on verra plus tard si les progrès entrevus se confirment.

www.domaine-nicolas-crozes.com

Fin de notre périple dans le sud, nous remontons maintenant vers le Rhône Nord. Vous retrouverez nos impressions dans les carnets de voyage n°2 la semaine prochaine. Pour ne pas alourdir ce fichier, nous vous proposons les liens qui vous permettront d’en savoir plus et de voir quelques superbes photos de ces divers domaines.

Résumé des derniers millésimes dans le Rhône Sud :

2010 est incontestablement le millésime le plus complet depuis les millésimes 1978 et 1990 dans cette région. La climatologie idéale (été chaud sans être torride, petites pluies début septembre, mistral permanent, journées chaudes et nuits fraîches en septembre) a permis aux raisins de murir lentement. D’où ce magnifique équilibre sucre-acidité et cette retenue dans les vins qui prolonge les arômes dans une matière charnue et serrée. Partout nous avons retrouvé un fruit croquant, une structure élancée, et pour les plus réussis une race, une pureté et un raffinement sans égal. Merci 2010………….

2009 est un millésime plus « large » avec beaucoup de sève et de gourmandise mais sans la classe du 2010. Solaire, il offre un éventail aromatique moins profond, son registre se situant plus sur la puissance et la richesse avec de jolis tannins soignés. Il se boit dès maintenant et offre un potentiel de garde de 4 à 15 ans.

2008, coincé entre 2007 et 2009 a été quelque peu négligé par les médias et donc boudé par le public. Dommage, car on trouve de très belles réussites dans un style moins riche mais agréable par son alcool moins marqué et son style immédiat.

2007 est assez semblable à 2009 avec des vins riches et puissants. Et un peu moins d’acidité. Ne boudons pas notre plaisir, il y a de très jolis flacons avec souvent un beau potentiel de garde. Attention toutefois à une surcharge alcooleuse induisant parfois une touche d’amertume dans les vins les moins équilibrés.

2006 nous avait conquis par son classicisme de bon aloi et il continue à nous étonner par sa très jolie aptitude au vieillissement. Sans faire de bruit (médiatiquement parlant), il est en vitesse de croisière et continue au fil des ans à renforcer une réputation quelque peu éclipsée par les deux millésimes qui l’entourent. Nous, on aime beaucoup.

2005 a toujours été à notre sens surestimé. Venant derrière des millésimes en dents de scie, « on » a eu tendance à magnifier les qualités d’un millésime riche, mais sans grande envergure. Des tannins limite sécheresse ont souvent tendance à prendre le dessus sur le fruit et l’équilibre. Il y a de grandes réussites bien sûr, mais ce n’est pas dans ce millésime qu’on trouvera une homogénéité comme en 2006 ou 2009.

@ Pierre Ghysens, mars 2011.

Rhône Sud février 2011