Début septembre 2012 :
Les nouvelles qui nous parviennent des divers vignobles de France sont plus que nuancées. 2012 s’annoncerait hétéroclite. Entre les optimistes à tous crins (il fait beau, ca va aller docteur…) et les sceptiques périodiques (rien n’est fait, tout peut encore aller dans le bon sens comme dans le mauvais…) le nuancier est vaste. Les vignerons du Nord de la France (Bourgogne, Loire, Alsace ont le sourire un peu forcé, et le Sud-Ouest est dans la même situation: entre le froid du printemps, la floraison étalée sur quelques semaines, les pluies de juin et juillet et la chaleur torride puis moite d’août induisant les attaques de mildiou, il y a de quoi se poser quelques questions.
Un très beau mois de septembre est demandé au centre d’accueil … chaleur en journée, fraîcheur la nuit, pas de pluie, un vent froid et le plus grand soin apporté à la vigne. Passons rapidement sur le cas du Bordelais qui va sans doute réaliser le 10ème millésime du siècle (faites gaffe, j’ai les noms de ceux qui ont un rire sarcastique….) pour arriver dans le Sud ou un optimisme mesuré est de rigueur. Raisins sains en majorité, et belle maturité à prévoir. Bémol : les acidités étaient déjà basses début septembre. Si Eole pouvait souffler dans le bon sens, cela arrangerait pas mal de monde…. Verdict dans quelques semaines, croisons les doigts…
Revenons donc aux millésimes 2011 et 2010 dans les domaines visités :
Domaine du Colombier : Comme beaucoup d’hommes du vin attachés à leur terroir et à leur passion, Florent Viale est un homme discret et compétent. Chez lui, pas d’esbroufe, on va à l’essentiel…. Les millésimes 2010 et 2011 vont comme un gant au style de vin qu’il tente d’imprimer depuis quelques années : délicatesse, équilibre et harmonie sont au rendez-vous. Beaucoup de pureté dans les 2010, qu’ils proviennent de Crozes ou de l’Hermitage, des vins nets, droits, précis et qui expriment avec bonheur toute la race des sols qui les ont vu naître. Un véritable délice en l’état et aucune raison de douter un seul instant de leur évolution. Les Crozes sont de parfaites gourmandises à boire dans les 8 ans, avec une profondeur complémentaire dans les superbes parcelles de la cuvée Gaby. La race de l’Hermitage laissera pantois ceux qui comprendront la grandeur de ce terroir… Les 2011 sont de très bonne facture, bombes de fruits rouges sur une ossature solide mais gourmande. Ces vins suaves et gourmands s’apprécieront bien avant les 2010 sans pour autant manquer de définition et de rectitude. Les blancs 2011 sont tendres et conservent une très légère amertume noble en finale qui leur assurera une très belle sapidité.
Domaine Bernard Faurie : Prénom : Bernard, nom : Faurie, surnom : Cro-Magnon… Dans sa cave datant à peu de chose près du Paléolithique, Bernard a été, est, et restera la grande figure méconnue de l’Hermitage. Sa timidité et son humilité n’ont d’égal que sa capacité à élaborer des vins sans compromis, respectueux de la grandeur de l’Hermitage…tels que les grands auteurs viniques ou gastronomiques les ont décrits il y a de cela quelques décennies …. Et ce n’est pas une mode ou une influence…c’est simplement comme cela qu’il conçoit le vin… Je pense qu’il est inutile de s’étendre sur la qualité de ses 2010 qui resteront des archétypes de l’appellation. La cuvée Greffieux-Bessards est plus accessible par l’enrobe de sa structure, tandis que la cuvée Bessards-Méal sera de très belle garde par la vivacité de ses tannins et la longueur infinie qui s’en dégage… En 2011, il est clair que le style du millésime conviendra mieux aux lieux-dits Bessards et Méal, de par une acidité naturelle mieux contenue, les autres cuvées présentant, une fois n’est pas coutume, un côté immédiat ma foi bien plaisant quand on n’a plus 20 ans devant soi pour attendre les 2010…. Il y a peu de blanc hélas, mais aucun blanc de l’Hermitage, exceptés ceux de Jean-Louis Chave n’atteignent cette perfection au vieillissement. A bon entendeur ….
Domaine Pierre et Olivier Clape : Entre des 2009 riches, denses et puissants qui défieront le temps et des 2011 beaucoup plus accessibles, le magnifique 2010 ne fera certainement pas tâche. La précision apportée à l’assemblage des deux cuvées de Cornas nous a fortement impressionnés. Si la structure est ferme et fraîche, elle n’empêche pas les vins de montrer leur distinction. Tailleur chic pour le 2010, tenue sportive et décontractée pour le 2011 et costume de chasse « Gentleman-farmer » pour le 2009… Quel joli trio ! A côté de ces grands vins, Olivier et Pierre élaborent également un vin de pays et un côtes-du-rhône de syrah pure qui proviennent de vignes situés hors appellation Cornas. Le premier » Le Vin des Amis » porte bien son nom : digne escorte pour plats canailles et charcuteries, il ne se prend pas au sérieux, ce qui ne l’empêche pas de l’être … Le Côtes -du- Rhône en remontrerait à pas mal de Crozes et de St-Joseph avec une puissance retenue qui lui confère une tenue dans le temps qui nous surprend à chaque millésime. Si dans votre cave traînent quelques flacons du 2000 et 2001, n’hésitez pas, c’est superbe aujourd’hui ! Un domaine qui ne déçoit jamais, même si les vins ne sont pas toujours accessibles dans leur jeunesse. Le seul défaut ? Il n’y a jamais assez de bouteilles pour satisfaire la demande sans cesse croissante…
Domaine Guillaume Gilles : Comment définir les vins de ce diable de petit bonhomme ? Certes il possède de jolis terroirs, mais il n’est pas le seul… Certes il a eu de bons « formateurs » pour alimenter sa passion puisque qu’il a fait ses classes chez Robert Michel et Jean-Louis Chave, mais il n’est pas le seul… Certes il est sans cesse curieux et innovant, mais il n’est pas le seul… Alors, il reste la « patte » du vinificateur. ..Vraisemblablement de manière inconsciente, ses vins lui ressemblent. Jovialité, discrétion, gourmandise (« Sous quelque rapport qu’on envisage la gourmandise, elle ne mérite qu’éloge et encouragement. » Brillat-Savarin »), le tout enveloppé dans une structure typique aux vins de Cornas. Voilà une bien belle introduction aux vins d’une appellation que nous affectionnons tout particulièrement.
Domaine Johann Michel : Quand le hasard s’en mêle… Rencontré par hasard dans « Le » resto à ne pas manquer à Tain-l’Hermitage (Le Mangevins), nous dégustons avec Florent Viale le Cornas de Johann. La discussion s’engage, inévitablement, et nous nous retrouvons le lendemain au domaine situé à Saint-Péray. De jolis vins très typés Cornas, fermes, droits et structurés comme nous les aimons, à l’antipode des syrahs molles, fades ou boisées que l’on rencontre encore hélas trop souvent à notre goût. Et une cuvée « Jana » de haute volée. Comme souvent sur l’appellation, des flacons pas faciles mais attachants lorsque l’austérité devient une qualité. Ambitieux, il replante actuellement sur de très jolies parcelles, ce qui nous laisse entrevoir un avenir qui chante. Le domaine propose également une syrah en vin de table provenant des alentours de Cornas et de très jeunes vignes récemment replantées en appellation. « Grains Noirs » (c’est le nom de cette cuvée) est mis en bouteilles très rapidement et offre donc un plaisir immédiat, tout en fruits et en gourmandise. A boire dans les deux ans. Un Saint-Péray complète la gamme. Un peu en retrait, ce blanc est en devenir. A revoir lorsque les vignes auront pris un peu de « bouteille ».
Domaine Vallet : Dès notre arrivée, nous partons avec Anthony pour une visite des vignes. En ce début septembre, nous sommes surpris par l’état sanitaire magnifique des raisins. Il faut dire que père et fils y veillent particulièrement, sachant que c’est évidemment la base d’une récolte réussie. De retour à la cave, nous entamons le plat de résistance, à savoir la constitution de l’assemblage de la cuvée « Quintessence de Rouasses » 2011. Si 2009 s’était révélé assez facile, et 2010 un peu plus complexe, cette fois nous nous retrouvons devant une panoplie de vins certes tous bien faits, mais parfois fort différents selon l’origine des bois qui ont laissé une « empreinte » un peu plus marquée en 2011 que les deux millésimes qui l’ont précédé… D’où une recherche plus compliquée pour arriver à combiner les divers éléments que nous recherchons dans cette cuvée, à savoir : finesse, distinction, fruit, structure fraîche et équilibre. Après 4 heures de dégustations et après avoir remis 100 fois notre métier sur l’ouvrage, nous pensons être arrivés à un résultat très satisfaisant. Mais c’est votre dégustation qui confirmera ou infirmera cette impression. La cuvée sera mise en bouteilles début janvier 2013 pour nous arriver dans le courant février. Le reste de la production est comme d’habitude d’un haut niveau qualitatif avec cet éclat qui va si bien à la syrah…
Domaine Jamet : je pense qu’il est inutile de remettre une couche sur ce que nous pensons des 2010, bouteilles d’anthologie avec un équilibre… oserions nous dire parfait ! Ce qui est bluffant au domaine, c’est que chaque millésime nous apporte son lot de merveilleuses surprises. En 2011, le style suave du millésime est en effet transcendé par la recherche de perfection de Jean-Paul Jamet. L’accessibilité du millésime s’accompagne en effet de tous ces petits détails qui transforment un bon vin en grand vin, un de plus. Le trio 2009-2010-2011 n’est pas sans rappeler le trio 1999-2000-2001 qui a porté le domaine au sommet de son appellation. Il est vraisemblable que la cuvée « Fructus Voluptas », cuvée de pur plaisir à mettre sur table assez rapidement, sera commercialisée, nous permettant ainsi de profiter des saveurs et des arômes d’une syrah de grande origine sur le plaisir de la jeunesse. Les Côtes-du-rhône et les Vins de Pays ne seront pas en reste et offriront comme chaque année une alternative moins couteuse à ceux qui aiment le style du domaine. Bravo !
Dernières nouvelles : les vendanges 2012 se sont déroulées du 20 septembre au 9 octobre et avec cette prise de risques (vu les pluies menaçantes), le millésime apparemment nous offrira encore son lot de surprises…..
@Pierre Ghysens, octobre 2012